De ma relation toxique avec le numérique


Sur le modèle des livres de la sublime Fanny Lalande, cet article aura une playlist. A vous de l'écouter ou non, de comprendre le rapport avec le contenu, ou non.

Quand je dis que je bosse dans le numérique, les gens voient ça, j'en suis sûre

Pour commencer, laissez moi planter le décor, avec ce message à caractère informatif :





« Numérique » aurait pu être un homme. Je l’aurais aimé d’un amour totalement inconditionnel et j’aurais souffert en silence en le voyant revenir tard d’une réunion avec une marque de rouge à lèvres sur le col de sa chemise. (Et pas le rouge à lèvres dégueu que j’ai acheté chez Kiko y’a 2 semaines et qui laisse des traces de partout).

« Numérique » aurait pu être un homme. Il m’aurait juré qu’entre nous ça durerait toujours et m’aurait envoyé un message sur messenger qui se serait terminé par « @+ » (variante « biz »).

« Numérique » aurait pu être un homme, mais « numérique » est mon boulot.


M’voyez, le web, les internets, le digital, tout ça, cet univers pour lequel j’ai développé une relation d’amour haine totalement justifiée et justifiable.

Parce que oui, je suis chargée de webmarketing, et quelque part, j’aime ça (un penchant masochiste sans doute).

Ce que j’aime ?

  • Entendre « mais tu fais quoi au juste ?» et avoir le loisir de répondre « c’est compliqué » tout en sachant que l’explication qui suivra ne sera pas écoutée. Ah ouais, non ça je n’aime pas trop en fait.

Par contre, j’aime m’entendre répondre que :

  • Mon travail est très varié. Gestion d’un CMS (Wordpress), création de contenu sur le dit CMS, génération et suivi des leads, optimisation du site internet, relations avec les agences et différents freelances…
  • J’ai découvert la joie insoupçonnée que peut représenter le fait de réussir à modifier une CSS ou un code HTML.
J'ai bientôt le mulet

  • Mes proches me prennent pour un ingénieur informaticien.
  • J’ai des excuses pour ne passer aucun coup de téléphone : « Non mais j’ai un fichier à lui partager sur le drive », « ça ira plus vite que je lui mette un message sur Slack », « avec un mail, au moins j’aurai une trace », « je dois lui envoyer un email avec un bout de code dedans, j’en profiterai pour lui dire ça aussi »…
  • J’ai parfois le droit de poster des GIFs sur le site internet. 
  • J’ai une longueur d’avance sur mes collègues plus âgés en termes de capacités à passer d’un écran à l’autre en toute discrétion et à taper un message messenger à la vitesse de l’éclair.
  • Quand je traîne sur les réseaux sociaux, je peux faire croire que je me forme pour poster des promotions.
  • Quand je suis sur Slack, je peux faire croire que je fais un benchmark.
  • En bref, je m’amuse pas mal, il faut rester au top niveau pour ne pas se faire dépasser, c’est enrichissant, et physiquement, bon, je suis devant mes écrans toute la journée, donc j’entretiens mon beach body.


Mais comme vous pouvez vous en douter, la vie d’une chargée de web marketing n’est pas forcément de tout repos. 


Enfin surtout la mienne, mais ça c'est un autre sujet.

Ce que je déteste ?

  • Bienvenue dans le monde merveilleux des termes abscons et galvaudés. C’est quoi la différence entre digital, numérique et web ? Je ne vais pas refaire le débat hein, mais digital, les doigts, tout ça… Numérique, les nombres… Web, toile, les internets… En gros, c’est pas pareil, et je n’en PEUX PLUS d’entendre le digital utilisé à toutes les sauces.
  • Mais j’ai mieux, maintenant, il y a : LE PHYGITAL. Oui, oui, la réunion du physique et du digital. Ça sonne comme un examen chez le proctologue hein ? « Penchez-vous en avant s’il vous plait, j’enfile mon gant ».
  • Vous noterez par ailleurs, qu’en décrivant mon boulot, j’ai utilisé au moins 3 termes abscons pour le commun des mortels : CMS, Leads, Freelances. Je m’en excuse évidemment, mais c’est du conditionnement vous comprendrez… J’aurais évidemment pu faire pire en disant que je m’occupais de « la génération de leads et des problématiques de marketing automation via la création de contenus optimisés pour le SEO sur notre CMS, ainsi que de la gestion du SEA, tout en prenant en compte le RGPD qui entrera prochainement en vigueur ».

Mais pourquoi me direz-vous ? Parce que notre travail est terriblement vague, il y a des jours où on ne sait pas vraiment ce qu'on fait, en vrai. Les limites de nos missions, on ne les connait pas donc il faut bien se donner une contenance et se rassurer, prouver son expertise sur un domaine donné où personne n’a encore jamais foutu les pieds. 
Bosser dans le numérique, c’est un peu comme faire une thèse, faut trouver la niche à laquelle personne n’avait pensée. « J’ai créé une application multilingue permettant l’adaptation responsive d’un formulaire de tout type (pardot, eventbrite…) reliée directement à votre CMS et qui joue une petite musique quand il y a eu une completion ».

Des fois, je fais des additions.

  • Bosser dans le numérique, ça veut aussi dire, la plupart du temps, que vous ne changerez pas la face du monde. C’est dur de l’accepter, mais non, avoir obtenu un RT de la part d’Elon Musk n’arrêtera pas la pauvreté et des enfants continueront à mourir de faim. Non votre business model de beauty box mensuelle écolo n’améliorera pas la condition de la femme. Il y a donc dans le monde du numérique un tas de personnes frustrées, dont je fais partie, évidemment. Par contre, dans votre vie de tous les jours, vous pouvez contribuer à la bonne marche du monde en arrêtant de balancer votre mégot par la fenêtre de votre bagnole le matin, arrêter de remplir les cendriers avec les gobelets en carton du café pris pendant votre pause café/clope/caca… tout ça tout ça, le civisme quoi.
  • Les « gens du numérique » me rendent marteau. Les influenceurs, les annonceurs, les agences… Ce concours de bites permanent sur qui a compris quoi à la dernière Google Dance et pourquoi c’est so 2017 de faire des jeux concours sur son site internet. Mais putain mais regardes toi ! T’es pas un super héros parceque t’as suivi un conseil du Blog du Modérateur ! Tu fais juste ton boulot. T’as un SSI Linkedin de 88 ? Bien, par contre ta fille se fout à poil sur Snapchat. On bosse dans le numérique, ça bouge tout le temps, tu t’es tenu informé, c’est bien, continues comme ça, et la prochaine fois, tu feras, en plus, preuve d’un peu de logique et d’esprit critique !

Parenthèse féministe :



Ah oui, et puis il faut aussi noter que qui dit « digital », dit « monde de mecs ». Et oui les filles, il y a environ 30% de femmes dans le secteur (lu dans un article de Siècle Digital de 2016, z'allez pas m'emmerder avec les sources, j'vous dit que c'est vrai). Il va donc falloir subir quelques remarques sexistes et vous imposer. 
Un conseil : Le meilleur moyen de remettre un mec à sa place au travail, le battre sur son propre terrain ou lui faire, chaque jour, les mêmes réflexions que celui-ci ose vous faire. Certaines trouveront ça risqué, mais je vous jure qu’un « et bhé, ce jean te fait un bon petit cul », met un mec aussi mal à l’aise qu’une femme.

Fin de la parenthèse féministe

Pour conclure, tout ce gloubiboulga de termes, de comportements, de gens, mène inévitablement à des réunions qui n’en finissent pas et où il faudra judicieusement choisir de vous mettre en bout de table pour traiter vos emails, et faire votre « vrai » travail. 
Vous pourrez même en profiter pour vous consacrer et vos projets persos, comme ce nouveau business model révolutionnaire qui vous tient tant à cœur, la beauty box mensuelle et écolo.

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